det_Le jardin de l'oubli by Clarisse Sabard

Auteur:Clarisse Sabard [Sabard, Clarisse]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, General, Littérature
ISBN: 2368121870
Éditeur: Charleston
Publié: 2018-02-12T23:00:00+00:00

15

Agathe, 1913

Le ciel était encore meurtri par l’orage de la veille lorsque Agathe sortit pour se rendre sur la place du village. Le courrier arrivait aujourd’hui et elle était résolue à être parmi les premières, portée par l’espoir qu’il y aurait une lettre pour elle.

Elle remonta au pas de course les ruelles pavées et humides de la pluie qui s’était abattue par giboulées sur Caussières. La fraîcheur ambiante la fit frissonner et elle resserra autour de ses épaules le châle en laine qu’elle avait emprunté à sa mère. Les bruits du quotidien envahissaient ses oreilles : des bébés vagissaient, des enfants chahutaient, les sabots des mules et des ânes martelaient le sol trempé. Ici, on réparait un balcon qui penchait un peu trop, là un groupe de femmes se rendait au lavoir en bavardant. Les échos de la vie.

Agathe croisa un nombre incalculable de connaissances. Simon faillit la faire tomber lorsqu’elle bifurqua dans une petite rue, afin d’échapper à une intarissable commère.

— Oh là, la belle ! s’écria-t-il en la rattrapant par le coude.

La jeune fille sourit et une fossette se planta dans sa joue.

Jusque-là, elle avait tout fait pour éviter de croiser son ami. Elle éprouvait une sorte de malaise depuis le baiser qu’ils avaient échangé sur le col. Peut-être parce qu’elle avait aimé cela bien plus qu’elle ne l’aurait dû. Et aussi parce qu’elle s’en voulait d’avoir utilisé Simon. Avec cette rencontre inopinée, elle se rendit compte à quel point le jeune homme lui avait manqué.

— Simon, je… je suis contente de te voir !

Elle darda sur lui ses grands yeux bleus et replaça une épaisse boucle châtain derrière son oreille. Son ami devenait un véritable adulte. Elle l’avait revu le mois dernier, alors qu’il venait de perdre sa mère, emportée par une maladie fulgurante. Une de ces affections qui vous prenait sans crier gare et vous rongeait de l’intérieur, ne vous laissant plus que la peau sur les os. Simon avait l’air de tenir le coup, bien que de nouvelles responsabilités lui incombassent désormais. Agathe le savait, il travaillait dur afin d’aider son père à établir un commerce de tabac sur la place du bourg. Sa carrure s’était élargie, sa musculature était à présent nettement dessinée et il avait atteint une belle taille. Indiscutablement, Simon était un bel homme, avec ses épais cheveux bruns qui bouclaient et ses yeux noisette qui posaient sur vous un regard profond.

— Voilà qui fait plaisir à entendre, répondit-il en frottant son menton hérissé de courts poils de barbe. Où cours-tu, comme ça ?

— J’allais attendre la voiture du courrier.

— Tu ne files pas dans la bonne direction, sourcilla-t-il.

— J’ai aperçu la mère Castela. Je ne suis pas d’humeur à écouter ses éternels babillages.

Simon éclata de rire.

— Bon, je t’accompagne, si tu daignes écouter les miens.

Agathe hésita. Si la lettre qu’elle attendait était arrivée, il risquait de lui poser des questions indiscrètes.

— Je ne veux pas te retarder, vraiment.

— Dommage, car j’avais quelque chose à t’annoncer.

À ce moment-là, une femme qui nettoyait sa maison jeta le contenu de son seau.

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